L’interprétation des rêves en psychothérapie

L’interprétation des rêves en psychothérapie

par Benoit Santerre, MSW, psychothérapeute

Il y a presque 120 ans de cela, Sigmund Freud affirmait que les rêves sont la voie royale vers l’interprétation de l’inconscient (Freud, 1900). Depuis lors, une variété de modèles de psychanalyse ont vu le jour, dont certains drastiquement différents de celui établi par Freud. Ces différences s’appliquent également à l’interprétation des rêves. En tant que psychothérapeute axé sur la psychanalyse, j’utilise plusieurs de ces modèles. C’est ce qu’on appelle une approche intégrée.

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via Pixabay

Cette approche semble naturelle lorsque l’on considère que l’esprit est composé de multiples facettes, de multiples couches, et déterminé par de multiples éléments (Lippman, 2000). Autrement dit, l’esprit est une réalité complexe : certains rêves expriment des pulsions sexuelles ou agressives, d’autres révèlent la façon dont une personne se lie émotionnellement aux autres, etc. Pour cette raison, je me tourne vers une approche intégrée, adaptée aux rêves de mes clients. Par exemple, lorsqu’un client raconte un rêve, et qu’il est considéré dans le contexte de sa vie actuelle, une interprétation freudienne peut aider à cerner ou à clarifier divers éléments. Cependant, une lentille freudienne n’est pas utile pour tous types de rêves. Le cas échéant, l’approche jungienne (relative à Carl Jung) permettra de lever le voile sur la signification du rêve en question.

Dans ce texte, je donnerai en exemple quelques rêves accompagnés de leur interprétation selon l’un ou l’autre des trois modèles suivants : freudien, jungien ou relation d’objet. Pour des raisons de confidentialité, aucun des rêves présentés ne proviendront de mes clients. Afin de limiter la longueur du texte, je ferai seulement une brève description de la façon dont ces trois écoles de pensée perçoivent les rêves, ce qui ne permettra pas de leur rendre justice, mais donnera tout de même un aperçu de leurs aspects fondamentaux. Pour conclure ce texte, je présenterai les principes généraux de mon travail en interprétation des rêves.

La théorie freudienne perçoit les rêves comme des accomplissements de désir (désirs dissimulés), habituellement infantiles, et sexuels ou agressifs (Gabbard, 2010). Selon cette théorie, la fonction des rêves est de préserver le sommeil chez la personne endormie en déguisant ses désirs inacceptables (pour elle), qui autrement la perturberaient au point de la réveiller (Gabbard, 2010). Les rêves occupent ainsi deux fonctions : la réduction des tensions associées aux désirs coupables et la préservation du sommeil. Par exemple, imaginons une personne qui n’ose pas exprimer ouvertement son hostilité face à un voisin détestable, et qui rêve à un accident de voiture causant la mort de ce dernier. Une analyse freudienne de la situation présupposerait un fantasme inconscient et primitif de meurtre.

Mon expérience professionnelle confirme que les représentations dans les rêves sont parfois l’expression déguisée de contenus troublants, mais qu’elles ne sont pas toujours de nature sexuelle ni agressive. Elles peuvent être liées à une perte ou à un deuil par exemple. Pour l’illustrer, je vais partager un exemple personnel. Il y a plusieurs années de cela, j’avais un chien qui, à l’âge de 10 ans, commençait à montrer des symptômes préoccupants. Une fois à la clinique vétérinaire, on m’a informé que mon chien était très malade. Il était pourtant encore actif et enjoué. À un certain moment, le vétérinaire m’a annoncé : « Je ne peux même pas vous assurer que votre chien vivra jusqu’à demain. » En réalité, il lui restait encore de nombreux mois de vie heureuse. Quoi qu’il en soit, c’était toute une nouvelle à entendre !

De retour à la maison ce soir-là, je plaisantais en disant que pour un chien mourant, il était plutôt enjoué, ou qu’il menait peut-être plusieurs vies. En rétrospective, il est évident que je niais ou refoulais un sentiment anticipé de tristesse. L’humour était mon mécanisme de défense. Cette nuit-là, j’ai rêvé à un ancien appartement que j’habitais vers l’âge de 5 ou 6 ans. Je revisitais et explorais l’endroit. Puis, à un certain moment, on m’a dit que la gardienne qui s’occupait de moi dans cet appartement était décédée. J’ai alors été envahi par une lourde tristesse. Dans ma vie éveillée, bien que je ne garde aucun souvenir déplaisant de cette nounou, je ne ressentirais pas un tel deuil si j’apprenais sa mort. Je me souviens très peu d’elle, et nous ne sommes pas restés en contact. En réfléchissant à ce rêve, j’ai commencé à suspecter un lien avec la mort prochaine de mon chien. Ce chien que j’avais adopté alors qu’il n’avait que 3 mois et auquel j’étais très attaché. Mais comment expliquer la nounou ?

En fait, gardienne est le mot que j’utilisais pour désigner la nounou. Mon chien avait toujours été pour moi, outre un excellent animal de compagnie, le gardien de la maison en raison de ses aptitudes. En effet, un chagrin inexprimé résidait en moi face à la mort annoncée de mon chien de garde. De plus, le nom de famille de la nounou correspondait à la couleur du pelage de mon chien. Si j’avais été suivi en thérapie analytique à l’époque, on aurait fort probablement émis l’hypothèse que la gardienne dans le rêve était une image déguisée de mon chien de garde. Puisque je traitais ma tristesse inconsciemment et n’étais probablement pas prêt à le faire ouvertement, je l’exprimais sous forme déguisée (ma gardienne) en rêve.

Lorsque mes clients ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais, je leur demande d’exprimer les images présentes en rêve dans leur langue maternelle. Ensuite, je leur demande si ces mots ont une signification autre que les images rêvées. L’importance qu’ont les thèmes révélés sur les problèmes personnels des clients est parfois fascinante.

Selon la théorie de la relation d’objet (surtout dans le modèle de Fairbairn), les rêves représentent les dynamiques relationnelles entre les images intérieures de soi et les autres (Celani, 2010). Ils symbolisent des points de fixation intérieurs actuels au sujet de relations nocives. L’analyse des rêves a comme utilité d’aider le client à les résoudre (Alperin, 2004). Ainsi, la fonction du rêve est de cheminer à travers les habitudes relationnelles nocives (Padel, 1978).  Autrement dit, les rêves sont perçus comme des scénarios intériorisés que l’on crée à propos d’une relation. Par exemple, si une cliente me confiait un rêve récurrent dans lequel son copain disparaissait chaque fois qu’elle essayait de le joindre, l’exploration d’une telle image révèlerait probablement une peur profonde de l’abandon dans ses représentations intérieures des relations interpersonnelles. Dans ce cas, la représentation n’est pas dissimulée. Sa peur chronique de l’abandon ou de la perte est exprimée sans détour dans son rêve. Elle craint que son nouveau copain puisse « disparaitre » si elle tentait de le joindre.

Selon la théorie jungienne, les représentations dans les rêves ne sont pas perçues comme des pensées ou des sentiments intériorisés, mais plutôt comme l’expression de vérités ou de réalités intérieures (Jung, 1961).  Il s’agit de vérités non avouées, du moins pas véritablement, dans la vie éveillée. Ainsi, les rêves servent à compenser ou à équilibrer l’attitude adoptée par la personne dans sa vie éveillée. Jung considérait souvent les rêves comme une rectification apportée aux comportements conscients de la personne. Prenons l’exemple d’une femme mariée à un homme violent et excessivement autoritaire, et qui couvre constamment d’éloges ce dernier pour être une personne si aimable. Si cette femme rêvait qu’elle était captive d’un terroriste dans sa propre maison, le modèle jungien interpréterait ce rêve comme une compensation (ou plus justement, une correction) à ses comportements conscients durant son éveil. Ce rêve peut vraisemblablement exprimer ses véritables sentiments (enfouis dans son inconscient) face à son mariage, et une vérité qu’elle doit s’avouer. Une telle représentation en rêve n’est pas une dissimulation, mais une métaphore d’une réalité intérieure : cette femme se sent, à juste titre, terrorisée par son mari. Dans son for intérieur, elle considère son mari comme une sorte de « terroriste ».

Lorsque l’on aborde les rêves en psychothérapie, il est primordial de d’abord permettre au client d’associer ses propres idées, pensées et sentiments aux représentations rêvées, et de mettre notre avis professionnel en suspens. J’aime lorsqu’un client trouve sa propre interprétation. Cependant, il faut rester attentif à la possibilité qu’il interprète son rêve de façon défensive, en déviant certains éléments du rêve. J’entrevois l’exploration des rêves comme un travail de collaboration avec mes clients. Je souhaite éveiller leur curiosité face à leurs rêves et à leur vie intérieure. Ma façon d’aborder les rêves varie en fonction de la théorie retenue pour interpréter le type de rêve en question, et en fonction de la phase de psychothérapie à laquelle nous sommes à ce moment-là.

Revenons au rêve de la femme maltraitée par son époux. Lors de la phase initiale, je pourrais simplement lui demander si des sentiments, images ou pensées lui viennent en tête lorsqu’elle évoque le rêve du terroriste. Un peu plus tard, je pourrais lui demander si elle associe l’image du terroriste à une personne dans sa vie. Lors d’une phase postérieure, une fois que l’alliance thérapeutique est établie et que la cliente a rapporté plusieurs comportements indéniablement violents de la part de son mari, et si elle continue à le couvrir d’éloges, une intervention appropriée selon la théorie jungienne pourrait ressembler à ceci : « Vous décrivez constamment votre mari comme une personne aimable, mais vos rêves semblent exprimer des sentiments différents quant à l’image d’un homme dans votre vie. D’après ce que vous m’avez raconté à son sujet (par exemple, les comportements violents), croyez-vous qu’il pourrait être le terroriste dans vos rêves ? Ce pourrait-il, qu’au fond de vous, vous le perceviez comme un terroriste, qui vous tient captive dans votre propre maison ? »

Certains clients trouvent immédiatement une interprétation plausible pour l’image dans leur rêve. Dans ce cas, si on revient à l’exemple précédent, le simple fait de demander ce qui leur vient en tête quant à l’image du terroriste pourrait faire ressortir le mari. Certains clients vont droit au but, en exprimant d’eux-mêmes à quoi ou à qui ils associent l’image. Si le client se met sur la défensive lors de l’interprétation, il est habituellement préférable d’attendre qu’une alliance thérapeutique s’installe avant d’aborder la question de nouveau. Notez, comme dans l’exemple précédent, que j’offre mon interprétation à titre d’hypothèse, la formulant comme une question, pas comme un dogme, afin de permettre au client de la valider, d’y répondre ou de poursuivre l’exploration. Affirmer « le terroriste est votre mari » indique une position autoritaire, voire narcissique, à éviter lorsqu’on travaille avec un client.

Un autre principe important de l’interprétation des rêves est de considérer le contexte actuel du client, son vécu et sa personnalité. Un rêve de bombes qui explosent signifie probablement deux choses bien différentes pour un vétéran de guerre aux prises avec un traumatisme et une personne timide qui n’ose pas exprimer sa colère. Un dernier point : une interprétation qui parait insensée pour un client, même si elle s’avère véridique, ne l’aide pas à cheminer. L’interprétation d’un rêve est utile au client lorsqu’elle touche au conscient. Imaginons un client sur le point d’arriver à une prise de conscience. Quelques mots de son psychothérapeute pourraient suffire pour qu’il mette en lumière un élément central de sa vie intérieure ou d’une situation spécifique. Pour en arriver là, le client a besoin de temps pour associer librement ses idées, ses pensées et ses images en lien avec le rêve. Nous ne pouvons favoriser ce processus en offrant immédiatement notre interprétation.

En résumé, d’après mon expérience de psychothérapeute, garder l’esprit ouvert grâce à une variété de perspectives théoriques favorise une interprétation juste et utile pour le plus grand nombre possible de clients. Le contexte permet de déterminer le modèle le plus pertinent : le modèle freudien, le modèle jungien ou la relation d’objet . Il existe d’autres approches d’interprétation des rêves, mais j’ai limité ce texte à celles que j’utilise couramment. Pour conclure, je voudrais insister une dernière fois sur l’importance de permettre au client de faire ses propres associations quant à ses rêves et de prendre en considération le contexte de vie du client avant d’émettre une hypothèse sur la signification d’un rêve.

Références

Alperin, R. M. “Toward An Integrated Understanding Of Dreams”, Clinical Social Work Journal, vol. 32, no˚ 4, hiver 2004.

Celani, D. P. Fairbairn’s Object Relations Theory In The Clinical Setting, New York, Columbia University Press, 2010.

Freud, S. The Interpretation of Dreams, London, The Hogarth Press and The Institute of Psycho-Analysis, 2010.

Gabard, G. Long-Term Psychodynamic Psychotherapy: A Basic Text, 2e éd., [s. l.], American Psychiatric Publishing Inc., 2010.

Jung, C. G. Psychological Reflections, New York, Harper Torchbook, Harper & Brothers, 1961.

Lippman, P. Nocturnes: On Listening to Dreams, New Jersey, Hillsdale New Jersey Analytic Press, 2000.

Padel, J. Object Relational Approach in Dream Interpretation: A Comparative Study, New York, Spectrum, 1978.